Contribution/Réflexion

UN ARTISTE OBSTINE, texte de Stephanie Gallet.

Ce n’est pas si fréquent de croiser la route d’un sculpteur. Philippe Parrinello en est un. Il a installé son atelier à Montfermeil en Seine Saint Denis à proximité des grands arbres de la forêt de Bondy. Il travaille au rez de chaussé d’une maison au milieu des ponceuses, des ciseaux et des pièces de bois qui attendent d’être sèches. Il vit en famille, entouré de ses sculptures et dès son jardin des figures grimaçantes vous accueillent…

Visiter Philippe Parrinello à l’œuvre, c’est comprendre qu’en sculpture si rien n’est impossible, rien n’est instantané.

En novembre 2015, Philippe Parrinello proposait à Pontault-Combault « La Venus et l’Esclave ».  Cette installation présentait deux grands bas-relief posés sur un dialogue, extrait d’un film de John Cassavetes (Shadows). L’occasion pour lui de rendre hommage au cinéaste américain à l’origine de son ambition artistique, de reprendre à son compte le regard sur l’art de l’auteur de « Faces ». Réaliser une œuvre, trouver son identité d’artiste, c’était avancer sur une voie d’épure et d’autonomie, c’était choisir un médium qui soit un chemin vers soi et vers les autres.

Pour Philippe Parrinello, ce chemin, c’est la sculpture.

Sculpter, c’est maitriser un geste… Il s’agit d’enlever des extraits d’un bloc pour insuffler une histoire. Tourner autour d’une pièce ou d’une installation de Philippe Parrinello c’est entrer dans un monde, découvrir des personnages, des paysages et une profusion de symboles. Presque qu’un film en soi…

Sculpter, c’est une rencontre avec la matière : ici le bois. Matière noble, riche de son vécu, sur laquelle le sculpteur va s’appuyer pour trouver la veine du récit que ses outils vont creuser.

Si l’on peut dire que la graine se souvient de l’arbre qu’elle était, avec Philippe Parrinello la sculpture n’oublie pas l’arbre qu’elle a été. Malgré des heures de ponçage, malgré les laques, les vernis, les colles, le végétal ne disparaît pas sous l’œuvre. Il est toujours là, présence sous-jacente au langage éloquent. Dans la « Femme Babel », le tronc est bien là mais déjà la femme s’élance, déjà la ville s’anime. Avec « Les amants », c’est un arbre présence maternelle et rassurante qui héberge leur danse. Dans l’étrange série des « Pacmans », l’arbre est encore là… D’un nœud il fait un œil aux aguets. D’une fente, il fait un sexe offert.  D’une branche, un bras levé …

Sculpter, comme une rencontre entre deux corps, celui de l’arbre bien sur mais aussi celui du sculpteur. Un corps à corps parfois violent, parfois caressant.

Mais attention, sculpter ce n’est pas que porter des coups ou les retenir. Le corps à corps commence dans le regard. Sans aller jusqu’à parler de méditation, il y a dans la pratique de Philippe Parrinello de longs moments de contemplation devant ce qui n’est encore qu’un morceau de bois. Quelle histoire emprisonnée sous l’écorce va-t-il pouvoir libérer ?

Tout cela ne va pas jaillir instantanément. Sculpter est un travail de patience mais surtout un travail physique. Et on retrouve là, chez lui une sorte de fraternité silencieuse avec tous ceux qui donne de leur chair pour faire leur métier… Ici le travail est manuel. Ici on donne de sa personne… ici on crée…

Philippe Parrinello a réalisé  beaucoup d’autoportraits mais le plus émouvant, le plus juste  est sûrement cette énorme main en chêne, offrande, à la fois puissance et fragilité …

Une sculpture nous dit Philippe Parrinello, c’est une portion de temps, un engagement dans la durée. Pour le spontanée, l’instant croqué, il y a le dessin, l’aquarelle. Des techniques plus souples, plus mobiles qui permettent de fixer les idées, les images et de préparer ou de répondre aux travaux sculptés. Car tout se répond, tout fait sens. L’idée de continuité entre les pièces est essentielle. Pas de dates de création sur les œuvres mais à chaque fois des signes qui comme des fils invisibles tissent des liens entre chaque pièces.  Petit à petit nous dit l’artiste, l’idée s’est imposés de fabriquer un territoire, un petit peuple comme les personnages d’un film : Les Corps de bois …

Le sculpteur est un démiurge… Des formes anthropomorphiques vont naître de sa main.

Les Corps de bois… Des êtres étranges aux yeux parfois plus vrais que nature.  Mi-homme, mi-animal, être mutant…  Homme à tête de souris ou d’âne ou même d’oiseaux, femme louve, centaure… A moins que tout cela ne soit que des masques… Philippe Parrinello travaille les corps… Allonge une tête, étire un membre. La mutation est bien là,  à l’œuvre sous nos yeux.

Qui sont tous ces monstres que nous montre le sculpteur ? D’où viennent-ils ? Du fin fond de nos cauchemars, de nos forêts primitives, des mythes anciens ?  A moins que, peurs  bien plus contemporaines, ils se soient échappés des fantasmes d’un savant fou …

Nous avons oublié les récits fondateurs de notre humanité. Philippe Parrinello nous les rappelle. C’est toute une mythologie qui s’aligne devant nous, une petite armée de corps de bois bien décidée à prendre vie …

Qu’est-ce qu’un homme ? Qu’est-ce qu’une bête ? Avons-nous oublié notre état de nature ?

C’est tout cela que nous disent les Corps de bois. Message discret, leur cri est couvert, il ne s’impose pas. Philippe Parrinello n’a jamais fait de son art un étendard mais il nous propose bien un regard sur le monde. Regard angoissé sur ce monde animal dont nous nous éloignons comme un radeau à la dérive … Regard inquiet sur la violence omniprésente … Les djihadistes sont tristes, les rois se transforment en char, « Les naufragés » tendent leurs bras et les  armes sont tapies au cœur du couple. Image récurrente du labyrinthe où chacun peut se perdre et où chacun cherche son fil d’Ariane.

Et puis il y a les tags, ces chiffres plus ou moins lisibles, qui petit à petits se sont mis à couvrir certaines de ces pièces à l’image de ce monde où tout est numérisé … Tout se compte et se décompte… Tout se calcule … Les chiffres dévorent notre monde, nous submergent comme ils recouvrent « La Pasquina » ou « La Pomone ». Logique implacable à l’œuvre qui engloutit avec elle la nature, les récits primitifs mais aussi nos désirs intimes … Aujourd’hui nous dit l’artiste, il faut être bien attentif pour réussir à discerner les pulsations du monde réel derrière le vacarme du binaire.

« Mes corps de bois peuplent un territoire qui réfléchit le notre » : un credo puissant pour un artiste obstiné.

Stéphanie Gallet

Septembre 2016

 

A propos Philippe PARRINELLO

contact@philippeparrinello.fr
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